21.04.21
Steve McCaw

Le monde est de plus en plus conscient des limites de la recherche sur les animaux et de son incapacité à faire des prévisions fiables pour l'homme. Ces dernières années, les États-Unis en sont venus à dominer les marchés de la toxicologie cellulaire et in vitro.

Warren Casey, docteur en toxicologie, est le chef de la branche de dépistage biomoléculaire du programme national de toxicologie des États-Unis, des instituts nationaux des sciences de la santé environnementale (NIEHS) ainsi que le directeur exécutif du comité de coordination inter agences des États-Unis sur la validation des méthodes alternatives (ICCVAM). Il était auparavant directeur du centre du programme national de toxicologie pour l'évaluation des méthodes toxicologiques alternatives (NICEATM). Ces groupes travaillent ensemble pour faciliter le développement, la validation, l'acceptation réglementaire et l'adoption par l'industrie de méthodes de tests qui ne devraient pas être effectués sur les animaux.

Avant de rejoindre le NIEHS, le Dr. Casey a travaillé durant 15 années dans l’entreprise pharmaceutique GSK et y a occupé diverses fonctions, notamment Responsable de la microbiologie pharmaceutique, Responsable du développement de biomarqueurs in vitro et Responsable de la toxicologie de découverte et d'investigation. Le Dr Casey a reçu en 2016 le prix de la Society of Toxicology pour le bien-être des animaux.

Vous avez remporté le prix du bien-être animal de la Société de Toxicologie aux Etats-Unis en 2016, félicitations ! Pourquoi vous ont-ils décerné ce prix ?

Merci beaucoup. Ce prix est décerné pour faire progresser la toxicologie par le développement et l'application de méthodes qui remplacent, affinent ou réduisent le besoin d'animaux pour les expérimentations. Ce prix a spécifiquement souligné mes efforts pour améliorer la qualité des données provenant des études traditionnelles sur les animaux, données qui sont utilisées pour l'évaluation de nouvelles approches. Mon leadership sur des projets soutenant le remplacement des tests sur les animaux par des approches de criblage à haut débit et des modèles informatiques a également été salué.

Les chercheurs disent souvent : « oui, nous sommes favorables au remplacement des animaux mais il reste malheureusement impossible de remplacer entièrement l'expérimentation animale ». Quelles sont les perspectives d’avenir en ce domaine selon vous ?

Jusqu’à présent nous ne sommes pas encore en mesure reproduire la biologie complexe des animaux en son entièreté. La physiologie des mammifères (humains et animaux) est de loin le processus le plus complexe jamais étudié dans tous les domaines, y compris l'ingénierie, la chimie ou la physique quantique. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il n'y a aucun espoir de mettre fin aux tests sur les animaux. D’après moi, c’est la modification des questions que nous essayons de poser qui déterminera en fin de compte la manière dont nous mettrons fin à notre dépendance de l'expérimentation animale. Améliorer notre compréhension de la biologie humaine nous permettra de poser des questions spécifiques auxquelles il est possible de répondre en utilisant des approches basées sur l'homme mais ne faisant pas usage d’animaux.

Il est presque impossible de mesurer l'impact des tests alternatifs sur la réduction du nombre d'animaux utilisés ici aux États-Unis car les rats et les souris, les espèces les plus couramment utilisées pour les tests de toxicité, ne sont pas légalement considérés comme des animaux et il n'y a aucune obligation de rapporter les nombres utilisés.

Ndlr : ce qui par contre est obligatoire en Europe !

Les résultats scientifiques obtenus par le biais de l'expérimentation animale sont contestés à différents niveaux : ils ne sont pas toujours pertinents pour l'homme, de nombreuses études sur les animaux ne sont pas reproductibles, ... Néanmoins, les scientifiques peuvent se montrer très intimidants envers les personnes qui remettent en question l'utilisation des animaux dans la recherche. S'agit-il d'un cas très répandu ?

Les tests sur les animaux ont sans équivoque conduit à des avancées scientifiques qui ont permis de sauver des vies et qui n'auraient pas été possibles autrement. Cependant, l'usage historique des animaux ne suffit pas à justifier la poursuite de cette pratique au fur et à mesure que progresse notre compréhension de la biologie humaine.

GAIA soutient fermement une politique plus poussée en matière d'expérimentation animale, y compris une stratégie pour éliminer progressivement l'utilisation des animaux de laboratoire. Il ne suffit pas d'attendre que des tests sans animaux soient mis au point. Êtes-vous d'accord avec cette approche ?

Absolument ! Nous avons justement publié une stratégie en 2018 (A Strategic Roadmap for Establishing New Approaches to Evaluate the Safety of Chemicals and Medical Products in the United States) et elle s'est avérée extrêmement utile pour faire progresser le développement et l'utilisation de méthodes alternatives. La raison pour laquelle elle a été si efficace est qu'elle a été développée par les agences et les institutions qui utilisent actuellement des tests sur les animaux. Ce qui exige évidemment que ces groupes s'engagent sincèrement à mettre fin à l'utilisation des animaux. Une stratégie mise en place par des groupes externes, qui n’utilisent pas les tests sur les animaux, n’aurait pas eu de sens et ne serait probablement pas efficace.

L’un des problèmes les plus fréquemment soulevés est que certaines méthodes dites "sans animaux" ne le sont en fait pas réellement. Les tests in vitro peuvent inclure l'utilisation de sérum bovin et d'anticorps d'origine animale, par exemple. Existe-t-il des solutions à ce problème ?

Oui, il existe certainement des alternatives à l'utilisation de réactifs de laboratoire composés de produits d’origine animale dans presque tous les cas. Le principal obstacle est l'argent, car ces alternatives ont tendance à être plus coûteuses (nettement plus même, dans certains cas) que les réactifs couramment utilisés.

D’après vous, quel type de méthode pourrait réellement changer la donne ?

En ce qui concerne la réduction du nombre d'animaux utilisés pour les tests de toxicité, je pense que ce qui changera la donne, c’est l'application d'approches informatiques pour fournir les informations (ndlr : l’application in silico) nécessaires aux régulateurs, nécessaires pour la prise de décision sur la sécurité des médicaments et des produits chimiques. C'est un domaine sur lequel nous concentrons actuellement nos efforts. Plutôt que le développement d’approches sur base de cellules dans le but de remplacer une expérience particulière sur animaux.

Pensez-vous qu'un jour l'utilisation des animaux pour la recherche scientifique pourra être totalement interdite ? Et que nous pourrons regarder en arrière, comme nous le faisons maintenant pour les horribles vivisections qui avaient lieu dans le passé ?

Je préfère penser que l'utilisation d'animaux ne sera plus nécessaire parce qu'il existera des approches plus pertinentes pour l'homme, moins coûteuses et plus rapides. Je pense à l'abandon des vieux téléphones à cadran ou des téléviseurs en noir et blanc : ils ne sont pas interdits, mais pourquoi diable voudrait-on les utiliser ?

Quel type de méthode de substitution donne selon vous le plus d’espoir afin de réduire le nombre d’animaux utilisés à court terme, à moyen terme et à long terme ?

Je pense que la réduction la plus significative du nombre d'animaux de laboratoire viendra de la modification des exigences réglementaires en la matière. Par la suite, les méthodes les plus efficaces seront celles qui peuvent remplacer les animaux pour tester des produits biologiques (c'est-à-dire la puissance et l'efficacité des vaccins, la toxine botulique, les tests de dépistage de la rage, etc.), car ces quelques tests utilisent plus d'animaux que tous les autres tests de toxicité combinés. Le développement de méthodes alternatives dans ce domaine est aujourd’hui tout à fait à la portée de la science moderne : il s'agit simplement de consacrer les ressources nécessaires afin d’atteindre cet objectif. Les systèmes in vitro complexes, tels que les micro-puces à tissus, constituent la troisième possibilité. Cependant l’impact réel que ces technologies auront sur l'expérimentation animale ne sera pas aussi rapide que ce que beaucoup de gens espéraient, du moins en ce qui concerne les tests de toxicité. Toutefois, je pense que ces systèmes conduiront à terme à une réduction significative de l'utilisation des animaux, notamment dans le domaine de la recherche biomédicale.