L’expérimentation animale

Historique

L’expérimentation animale ne date pas d’hier. Pendant des siècles, il a été on ne peut plus normal de disséquer des animaux sans la moindre anesthésie afin d’en tirer des connaissances sur l’être humain. Longtemps, les universitaires ont soutenu que les animaux ne ressentaient rien et que, dès lors, aucun problème éthique ne se posait. Aujourd’hui, vous ne trouverez plus aucun scientifique pour affirmer une telle chose. Lorsque l’on a compris que la vivisection causait une douleur intense à l’animal, la pratique a malgré tout été défendue.  Il s’agissait apparemment du seul moyen d’étudier le fonctionnement du corps et d’utiliser ces connaissances au profit de l’être humain. Plus aucun scientifique ne défend cette affirmation hasardeuse.

La compréhension scientifique et éthique des animaux a considérablement augmenté, tant chez les scientifiques eux-mêmes que parmi le grand public.  Aujourd’hui, l’expérimentation animale au sein des universités et des firmes pharmaceutiques n’est heureusement plus ce qu’elle était. Pourtant, elle est encore souvent considérée comme un « mal nécessaire ». Selon ce raisonnement, l’opposition à l’expérimentation animale est une opposition au progrès (médical).

Bien que les tests réalisés sur les animaux fournissent indéniablement des informations, les questions que soulevait la vivisection au cours des siècles passés sont toujours d’actualité. Les animaux souffrent-ils ? Et quelle est la pertinence des connaissances acquises par l’expérimentation animale ?

 

La douleur chez les animaux de laboratoire

Les animaux ne sont plus découpés vivants et pleinement conscients, mais la douleur intense ressentie durant les expériences demeure. Pour pouvoir réaliser des expériences sur les animaux, les chercheurs doivent d’abord introduire un dossier auprès d’un organisme qui a le pouvoir de statuer en la matière. En Belgique, ce sont les Commissions éthiques pour l’expérimentation animale, dans lesquels siègent des scientifiques qui approuvent ou rejettent la demande. Des scientifiques évaluent donc les demandes de leurs collègues. Pour une demande, chaque chercheur doit faire une estimation de la douleur que l’expérience causerait. Cette douleur peut être « légère », « modérée » ou « sévère ». Dans l’ensemble de l’Union européenne, chaque année, environ un million d’animaux de laboratoire (11 % de la population totale) sont utilisés dans des expérimentations qui provoquent des douleurs « sévères ». Attention : ces chiffres reposent sur l’estimation du chercheur lui-même. On peut supposer que la souffrance est systématiquement sous-estimée, de sorte que le nombre réel est plus élevé. En Belgique, le nombre d’expériences signalées comme provoquant une douleur sévère est très élevé : 83 000 par an. Ce chiffre place la Belgique dans le top 5 européen. La souffrance étant sous-estimée, au moins 100 000 animaux souffrent de douleurs sévères dans le cadre de la recherche scientifique.

 

À propos de la pertinence de l’expérimentation animale pour des médicaments sans danger

Vésale, le chirurgien « belge » mondialement célèbre et fondateur de l’anatomie, a découvert que certaines parties du corps des animaux étaient absentes du corps humain. C’est difficile à imaginer aujourd’hui, mais il y a quelques siècles, les connaissances sur l’anatomie humaine reposaient sur ce qui avait été observé chez les animaux. Ce qui est vrai pour une espèce ne l’est pas toujours pour une autre, comme le constatent encore les chercheurs.

Paracétamol, aspirine et pénicilline

Le paracétamol, l’aspirine et la pénicilline sont les médicaments les plus courants de nos jours. Vous pouvez même vous procurer du paracétamol et de l’aspirine sans ordonnance en pharmacie. Ces médicaments ont été développés à une époque où il n’existait pas de réglementation stricte. Si le paracétamol était inventé aujourd’hui, il ne passerait pas le cap de l’expérimentation animale obligatoire. Chez le rat et la souris, son administration provoque par exemple le développement d’un cancer. Pire encore : malgré plus de cinquante années d’expérience avec d’innombrables personnes montrant que le paracétamol est sans danger lorsqu’il est utilisé normalement (et toxique pour le foie en cas d’utilisation excessive), ce médicament fait encore l’objet d’expérimentations animales. Quant à l’aspirine, elle existe même depuis plus de cent ans, et il existe donc une énorme quantité d’informations sur son utilisation. Pourtant, elle est toujours testée sur les animaux. Et il semble qu’une dose normale pour l’être humain soit mortelle pour les rats et toxique pour les chiens, les chats et les singes. La pénicilline a été testée sur des souris et a dès lors été jugée sûre. Sir Howard Florey, l’auteur de ces recherches qui lui ont valu un prix Nobel, écrivit plus tard ce qui suit à ce sujet : « Quelle chance que nous ayons choisi des souris et non des hamsters, sinon nous aurions dû conclure que la pénicilline était toxique pour l’être humain. »

L’échec de médicaments prometteurs

Il existe également des médicaments qui ont passé sans encombre tous les tests de sécurité requis sur les animaux, mais qui ont provoqué des effets secondaires graves lors des essais cliniques (auxquels participaient des patients volontaires et des personnes en bonne santé). Citons par exemple les essais des candidats-médicaments TGN1412 au Royaume-Uni, BIA 10-2474 en France et fialuridine aux États-Unis.

Le TGN1412 est un anticorps dit monoclonal qui était destiné à traiter une forme spécifique de leucémie et d’arthrite. Au cours de l’essai clinique de 2006, les six participants ont été conduits aux urgences de l’hôpital pendant la première phase en raison de la défaillance de leurs organes. Les six volontaires ont survécu, mais les médecins leur ont dit qu’ils avaient subi des dommages permanents et qu’ils étaient désormais plus sensibles au cancer et aux maladies auto-immunes. Le TGN1412 s’était toutefois avéré sûr chez les singes, les animaux ayant reçu des doses 500 fois supérieures à celles des volontaires.

Pour un autre candidat-médicament, le BIA 10-2474, la première phase de l’essai clinique a entraîné en 2016 le décès d’un volontaire sain et des dommages neurologiques graves chez quatre volontaires. Le médicament était destiné à traiter un large éventail d’affections, notamment la douleur, l’hypertension, la sclérose en plaques, l’obésité et le cancer. Cette substance s’est avérée sans danger pour plusieurs espèces animales, mais a provoqué chez l’être humain une réaction neurologique grave au niveau cérébrale. Le rapport d’un groupe d’experts sur les causes n’a pas été concluant. Le candidat-médicament avait été testé sur des souris, des rats, des chiens et des singes, sans effets indésirables, malgré des doses jusqu’à 650 fois supérieures à celles administrées aux volontaires.

En 1993, l’essai clinique sur la substance fialuridine, un traitement potentiel contre l’hépatite B, a provoqué de manière inattendue de graves réactions chez les volontaires, telles que la jaunisse et la défaillance d’organes. Cinq des 15 participants américains sont morts des suites de leur participation. Deux autres ont été sauvés grâce à une greffe de foie. De précédents tests de toxicité menés sur des animaux, dont un essai de six mois sur des chiens, avaient pourtant donné aux scientifiques la certitude que la substance était sans danger.

L’éternelle promesse d’un traitement contre la maladie d’Alzheimer

Ces exemples dramatiques ne sont pas des cas isolés d’échec de candidats-médicaments : 95 % des nouveaux médicaments potentiels ne répondent pas aux attentes lors des essais cliniques et n’arrivent pas sur le marché, généralement parce qu’ils n’ont pas l’efficacité thérapeutique prévue où se révèlent d’une toxicité inattendue.

Pourtant, la plupart des expérimentations animales ne servent pas à tester des médicaments. La recherche fondamentale sur les troubles neurologiques est l’une des principales raisons pour lesquelles des animaux de laboratoire sont utilisés en Belgique. Depuis des décennies, des souris et d’autres animaux sont utilisés pour étudier le système nerveux. Selon les chercheurs, ces études permettraient de développer un médicament. Le 5 novembre 1999, De Morgen titrait : « Des chercheurs de Louvain découvrent le secret de la démence ». Le professeur Bart De Strooper y expliquait que la démence serait guérie dans un avenir proche. Il a littéralement déclaré ceci : « Le monde pharmaceutique a reçu les bonnes clés. D’ici trois ans, nous devrions obtenir des médicaments. » Nous voici vingt ans plus tard et, malgré de fréquentes expérimentations animales, il n’existe encore aucun traitement. De plus, les candidats-médicaments qui fonctionnent sur les animaux se révèlent inadaptés ou inefficaces lorsqu’ils sont testés sur des êtres humains. Les chercheurs plaident facilement pour une expérimentation encore plus poussée, au lieu de remettre en question les modèles animaux et de développer d’autres méthodes pour comprendre le processus pathologique.

Les limites des expérimentations animales

Un problème majeur dans l’évaluation de l’innocuité de substances chimiques et de médicaments est la qualité limitée des données toxicologiques provenant de l’expérimentation animale. Le test d’irritation oculaire de Draize, au cours duquel une substance est appliquée dans les yeux de lapins, a longtemps été l’un des tests de toxicité les plus courants. Ces tests continuent d’apparaître dans les statistiques concernant les animaux de laboratoire, alors que des alternatives existent depuis des dizaines d’années. Une analyse des données historiques sur le test d’irritation oculaire montre que cette méthode populaire a de sérieuses limites. Comme tous les individus du lot ne réagissent pas de la même manière aux produits chimiques administrés, de nombreux produits chimiques peuvent être mal classés : au moins 11 % des produits chimiques qui seraient placés dans la catégorie la plus sévère par le test d’irritation oculaire pourraient tout aussi bien être placés dans une catégorie plus modérée. Selon l’étude, il s’agit même d’une sous-estimation de la mauvaise classification réelle de nombreux produits chimiques. Et cela ne concerne que la simple toxicité oculaire, pour laquelle les méthodes de recherche sont hautement standardisées afin de limiter la variabilité autant que possible. Pour les médicaments qui ont un impact sur l’ensemble de l’organisme, les résultats sont encore beaucoup plus complexes.

Un autre problème de l’expérimentation animale est ce que l’on appelle la « variabilité inter-espèces » : toutes les espèces animales ne réagissent pas de la même manière à une substance ou à un médicament. Une étude évaluant la classification des substances tératogènes montre que cela peut conduire à de graves erreurs sur l’innocuité d’une substance. Une substance tératogène est une substance qui provoque un développement anormal avant la naissance. Cette étude montre que les substances ayant des effets tératogènes connus chez l’être humain ont souvent un impact moindre ou nul chez un certain nombre d’espèces animales. Les PCB, par exemple, ne provoquent aucun effet tératogène chez les souris, les rats, les lapins, les bovins ou les cobayes. L’étude montre également pourquoi il est si difficile d’extrapoler les résultats de l’expérimentation animale aux humains.

Enfin, il existe un effet auquel on prête encore peu d’attention dans le monde de la recherche : les conditions de détention des animaux dans les laboratoires. De nombreux tests sont standardisés, mais sans en tenir compte, ce qui peut créer un biais. Par exemple, les odeurs dans le laboratoire affectent les cycles hormonaux des animaux, tandis que le transport, l’entretien des cages ou le bruit provoquent du stress. De nombreux facteurs inconnus peuvent contribuer à entraîner un biais dans les résultats scientifiques.

Expérimentation animale et COVID-19

Les limites de l’expérimentation animale, et en particulier la variabilité entre les espèces animales, ont également été prises en compte lors de la recherche de vaccins contre la COVID-19. Le virus qui, en 2020, a entraîné des confinements et a été à l’origine de nombreux décès à travers le monde n’est pas le seul coronavirus.  En 2002, le SRAS a semé la panique et en 2014, c’était le tour du MERS, tous deux causés par des coronavirus. À cette époque, des vaccins et des médicaments étaient déjà activement recherchés, mais les chercheurs se heurtaient toujours aux limites de l’expérimentation animale. Les souris, les furets et les singes pouvaient être infectés par le virus à l’origine du SRAS, mais ils ne développaient aucune affection respiratoire comme les humains. En fait, les souris et les rats se sont avérés complètement insensibles au MERS. Cela s’explique par le fait que le virus se lie à des molécules situées à l’extérieur des cellules du corps et les utilise comme « récepteurs » pour pénétrer à l’intérieur. Mais ces molécules diffèrent d’une espèce à l’autre. Dans des circonstances « normales », les coronavirus ne passent donc pas de l’animal à l’humain. Les choses ne se gâtent que lorsque des personnes ont un contact prolongé avec un grand nombre d’animaux, comme par exemple dans un élevage de visons danois ou sur un marché chinois où des animaux sauvages sont abattus, tandis que le virus mute et peut donc se propager.  Les coronavirus ne se transmettent donc pas facilement de l’animal à l’humain, et les animaux ne sont dès lors pas des modèles appropriés pour développer ou tester des vaccins. Néanmoins, de nombreux animaux ont été sacrifiés lors des tests de vaccins contre la COVID-19. La valeur ajoutée de ces tests pour la réussite du développement de vaccins est discutable.  Lors du développement du vaccin d’AstraZeneca, par exemple, des singes ont été utilisés pour tester le vaccin. À la fin de l’étude, tous les singes ont été testés positifs au virus, ce qui signifie que le vaccin n’était pas en mesure d’empêcher la contamination d’animaux vaccinés. De nombreux vaccins ont également été testés sur des volontaires alors que l’expérimentation animale était toujours en cours. Par conséquent, la déclaration de Tal Zaks, chief medical officer du fabricant de vaccins Moderna, n’a pas de quoi surprendre : « Je ne pense pas que l’expérimentation animale nous procure les informations dont nous avons besoin avant de commencer les essais cliniques sur les humains ».

L’expérimentation animale fournit donc des informations, mais elle n’est pas aussi concluante pour la santé humaine qu’on le prétend souvent. Et tandis que la pertinence des méthodes sans animaux est rigoureusement évaluée au moyen de procédures fastidieuses, l’expérimentation animale n’a jamais eu à subir cette évaluation. L’expérimentation animale est la norme pour des raisons historiques : elle existait avant les méthodes sans animaux.

1 Pour plus d’informations sur l’histoire (horrible) de l’expérimentation animale : Franco NH. Animal Experiments in Biomedical Research: A Historical Perspective. Animals (2013)

2 Tous les rapports disponibles sur l’utilisation d’animaux d’expérience au sein de l’Union européenne peuvent être consultés sur https://ec.europa.eu/environment/chemicals/lab_animals/reports_en.htm et les derniers chiffres disponibles sont ceux de 2017.

3  Cette estimation a été réalisée après lecture des résumés non techniques des études des années 2017 et 2018.

4 Hueper et al. PET/CT Imaging of c-Myc Transgenic Mice Identifies the Genotoxic N-nitroso-diethylamine as Carcinogen in a Short-term Cancer Bioassay. PlOS One (2012)

5 Barrow P. Preclinical Testing for Teratogenicity and Developmental Toxicity: Methods and Limitations. Therapie (2002)

6 Pour plus d’infos sur des exemples négatifs : Herrmann &Jayne. Animal Experimentation: Working Towards a Paradigm Change. Brill (2019)

7 Arrowsmith J. A decade of change. Nature Reviews – Drug Discovery (2012)

8 Adriaens et al. Retrospective analysis of the Draize test for serious eye damage/eye irritation: importance of understanding the in vivo endpoints under UN GHS/EU CLP for the development and evaluation of in vitro test methods. Archives of Toxicology (2014)

9 Bailey et al. The future of teratology research is in vitro. The Humane Society Institute for Science and Policy (2005)

10 Nevalainen T. Animal husbandry and experimental design. ILAR Journal (2014)

11 Des explications détaillées sont disponibles sur https://www.cdc.gov/coronavirus/2019-ncov/daily-life-coping/animals.html

12 www.businessinsider.com/coronavirus-vaccine-quest-18-months-fauci-experts-flag-dangers-testing-2020-4?r=US&IR=T   

13 https://www.scientificamerican.com/article/researchers-rush-to-test-coronavirus-vaccine-in-people/?utm_medium=social&utm_content=organic&utm_source=twitter&utm_campaign=SciAm_&sf231412267=1